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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

à nous et à la Russie ; ce cas arrivé, les Pays-Bas ne peuvent se déclarer ennemis. Dans la position actuelle des esprits, quarante mille Français défendant les Alpes soulèveraient toute l’Italie.

« Quant aux hostilités avec l’Angleterre, si elles devaient jamais commencer, il faudrait ou jeter vingt-cinq mille hommes de plus en Morée ou en rappeler promptement nos troupes et notre flotte. Renoncez aux escadres, dispersez vos vaisseaux un à un sur toutes les mers ; ordonnez de couler bas toutes les prises après en avoir retiré les équipages, multipliez les lettres de marque dans les ports des quatre parties du monde, et bientôt la Grande-Bretagne, forcée par les banqueroutes et les cris de son commerce, sollicitera le rétablissement de la paix. Ne l’avons-nous pas vue capituler en 1814 devant la marine des États-Unis, qui ne se compose pourtant aujourd’hui que de neuf frégates et de onze vaisseaux ?

« Considérée sous le double rapport des intérêts généraux de la société et de nos intérêts particuliers, la guerre de la Russie contre la Porte ne doit nous donner aucun ombrage. En principe de grande civilisation, l’espèce humaine ne peut que gagner à la destruction de l’empire ottoman : mieux vaut mille fois pour les peuples la domination de la Croix à Constantinople que celle du Croissant. Tous les éléments de la morale et de la société politique sont au fond du christianisme, tous les germes de la destruction sociale sont dans la religion de Mahomet. On dit que le sultan actuel a fait des pas vers la civilisation : est-ce parce qu’il a essayé, à l’aide