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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

capitaine du vaisseau anglais le Bellérophon cette lettre pour le prince régent :


« Altesse Royale, en butte aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des plus grandes puissances de l’Europe, j’ai terminé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m’asseoir au foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de Votre Altesse Royale comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis.

« Rochefort, 13 juillet 1815. »

Si Bonaparte n’avait pendant vingt ans accablé d’outrages le peuple anglais, son gouvernement, son roi et l’héritier de ce roi, on aurait pu trouver quelque convenance de ton dans cette lettre ; mais comment cette Altesse Royale, tant méprisée, tant insultée par Napoléon, est-elle devenue tout à coup le plus puissant, le plus constant, le plus généreux des ennemis, par la seule raison qu’elle est victorieuse ? Il ne pouvait pas être persuadé de ce qu’il disait ; or ce qui n’est pas vrai n’est pas éloquent. La phrase exposant le fait d’une grandeur tombée qui s’adresse à un ennemi est belle ; l’exemple banal de Thémistocle est de trop.

Il y a quelque chose de pire qu’un défaut de sincérité dans la démarche de Bonaparte ; il y a oubli de la France : l’empereur ne s’occupa que de sa catastrophe individuelle ; la chute arrivée, nous ne comptâmes plus pour rien à ses yeux. Sans penser qu’en donnant la préférence à l’Angleterre sur l’Amérique, son choix