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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

accusa Ney d’avoir été la principale cause de la perte de la bataille de Waterloo. Ney se leva et dit : « Ce rapport est faux, faux de tous points : Grouchy ne peut avoir sous ses ordres que vingt à vingt-cinq mille hommes tout au plus. Il n’y a plus un seul soldat de la garde à rallier : je la commandais ; je l’ai vu massacrer tout entière avant de quitter le champ de bataille. L’ennemi est à Nivelle avec quatre-vingt mille hommes ; il peut être à Paris dans six jours : vous n’avez d’autre moyen de sauver la patrie que d’ouvrir des négociations. »

L’aide de camp Flahaut[1] voulut soutenir le rapport du ministre de la guerre ; Ney répliqua avec une nouvelle véhémence : « Je le répète, vous n’avez d’autre voie de salut que la négociation. Il faut que vous rappeliez les Bourbons. Quant à moi, je me retirerai aux États-Unis. »

À ces mots, Lavallette et Carnot accablèrent le maréchal de reproches ; Ney leur répondit avec dédain :

  1. Auguste-Charles-Joseph, comte de Flahaut de la Billarderie (1785-1870), pair des Cent-Jours, pair de France de 1831 à 1848, sénateur du second Empire, ambassadeur à Londres de 1860 à 1862, grand chancelier de l’ordre de la Légion d’honneur de 1861 à 1870. Général de division en 1813, à vingt-huit ans, il déploya en faveur de Napoléon, après Waterloo, les plus généreux efforts. Il mourut le 1er septembre 1870, le jour du désastre de Sedan, et ne vit pas la chute de la dynastie à laquelle le rattachaient de secrètes et intimes affections. Il était le père du duc de Morny, frère naturel de Napoléon III. — Le père du comte de Flahaut avait péri sur l’échafaud en 1794 ; sa mère, la comtesse de Flahaut, remariée en 1802 au marquis de Souza-Bothello, a pris rang parmi nos meilleurs romanciers. Quelques-uns de ses romans, Adèle de Sénanges, Charles et Marie, Eugène de Rothelin, sont des œuvres parfaites, du sentiment le plus délicat et du goût le plus pur.