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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

l’écouta avec ravissement, et, lorsqu’elle eut fini, il la regarda avec un trouble inexprimable en s’écriant : Et des talents ! »

Madame de Staël, dans la force de la vie, aimait madame Récamier ; madame de Genlis, dans sa décrépitude, retrouvait pour elle les accents de sa jeunesse ; l’auteur de Mademoiselle de Clermont[1] plaçait la scène de son roman à Coppet[2], chez l’auteur de Corinne, rivale qu’elle détestait ; c’était une merveille. Une autre merveille est de me voir écrire ces détails. Je parcours des lettres qui me rappellent des temps où je vivais solitaire et inconnu. Il fut du bonheur sans moi, aux rivages de Coppet, que je n’ai pas vus depuis sans quelque mouvement d’envie. Les choses qui me sont échappées sur la terre, qui m’ont fui, que je regrette, me tueraient si je ne touchais à ma tombe ; mais, si près de l’oubli éternel, vérités et songes sont également vains ; au bout de la vie tout est jour perdu.

Madame de Staël partit une seconde fois pour l’Allemagne[3]. Ici recommence une série de lettres à

  1. Mademoiselle de Clermont est le meilleur ouvrage de Mme de Genlis ; il avait paru en 1802.
  2. La nouvelle de Mme de Genlis, dont parle ici Chateaubriand, a paru seulement en 1832 sous le titre d’Athénaïs ou le Château de Coppet en 1807.
  3. Dans l’automne de 1807. On lit, au sujet de ce voyage, dans les notes de M. Auguste de Staël : « Depuis son voyage à Berlin, si cruellement interrompu par la mort de son père, ma mère n’avait pas cessé d’étudier la littérature et la philosophie allemandes ; mais un nouveau séjour lui était nécessaire pour achever le tableau de ce pays qu’elle se proposait de présenter à la France. Dans l’automne de 1807, elle partit pour Vienne, et elle y retrouva, dans la société du prince de Ligne, dans celle de la maréchale Lubomirska, etc., cette urbanité de manières, cette