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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dait que ses amis ; quant à ce qui le regardait particulièrement, il disait tout. Bonaparte ne fut pas aussi généreux qu’on le supposait : onze personnes dévouées à Georges périrent avec lui[1].

Moreau ne parla point. La séance terminée, le juge qui avait amené madame Récamier vint la reprendre. Elle traversa le parquet du côté opposé à celui par lequel elle était entrée, et longea le banc des accusés. Moreau descendit suivi de ses deux gendarmes ; il n’était séparé d’elle que par une balustrade. Il lui dit quelques paroles que dans son saisissement elle n’entendit point : elle voulut lui répondre, sa voix se brisa[2].

  1. L’exécution de Georges Cadoudal et de ses onze compagnons eut lieu le lundi 25 juillet 1804, à onze heures du matin, en place de Grève. La veille, le geôlier de Bicêtre était entré dans son cachot, apportant à Georges une demande en grâce toute prête. Il jette un regard sur le papier qu’on lui présente et qui était adressé à Sa Majesté l’Empereur. Il n’en veut pas voir davantage. Se tournant vers ses compagnons : « Mes camarades, dit-il, faisons la prière. » Le matin de l’exécution, à quelqu’un qui lui demandait des nouvelles du condamné, le capitaine Laborde répondit : « Il a dormi plus tranquillement que moi. » Georges était assisté de l’abbé de Keravenant, qui fut sous la Restauration curé de Saint-Germain des Prés. Arrivé sur la place de Grève, l’abbé lui faisait réciter la Salutation angélique : « Je vous salue, Marie, pleine de grâces… Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs, maintenant… » Et Georges s’arrêtait : « Continuez, dit le prêtre, et à l’heure de notre mort. — À quoi bon ? dit Georges ; l’heure de la mort, n’est-ce pas maintenant ? » Au pied de l’échafaud, raconte le duc de Rivière dans ses Mémoires, page 52, il déclara qu’il avait une faveur à solliciter. « Pour ôter à mes compagnons d’infortune, dit-il, l’idée que je pourrais leur survivre, je demande à mourir avant eux. C’est moi, d’ailleurs, qui dois leur donner l’exemple. » On y consentit, et Georges eut sur l’échafaud la place qu’il occupait devant l’ennemi, il fut le premier à la mort comme il l’avait été tant de fois au combat.
  2. Dans les pages qui précèdent, Chateaubriand n’a fait que