Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t4.djvu/386

Cette page a été validée par deux contributeurs.
372
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Elle rencontra aux divers rangs de la société des personnages plus ou moins célèbres engagés sur la scène du monde ; tous lui ont rendu un culte. Sa beauté mêle son existence idéale aux faits matériels de notre histoire : lumière sereine éclairant un tableau d’orage.

Revenons encore sur des temps écoulés ; essayons à la clarté de mon couchant de dessiner un portrait sur le ciel où ma nuit qui s’approche va bientôt répandre ses ombres.

Une lettre, publiée dans le Mercure après ma rentrée en France en 1800, avait frappé madame de Staël. Je n’étais pas encore rayé de la liste des émigrés ; Atala me tira de mon obscurité. Madame Bacciochi (Élisa Bonaparte), à la prière de M. de Fontanes, sollicita et obtint ma radiation dont madame de Staël s’était occupée ; j’allai la remercier. Je ne me souviens plus si ce fut Christian de Lamoignon ou l’auteur de Corinne qui me présenta à madame Récamier son amie ; celle-ci demeurait alors dans sa maison de la rue du Mont-Blanc. Au sortir de mes bois et de l’obscurité de ma vie, j’étais encore tout sauvage ; j’osais à peine lever les yeux sur une femme entourée d’adorateurs.

Environ un mois après, j’étais un matin chez madame de Staël ; elle m’avait reçu à sa toilette ; elle se laissait habiller par mademoiselle Olive, tandis qu’elle causai en roulant dans ses doigts une petite branche verte. Entre tout à coup madame Récamier, vêtue d’une robe blanche ; elle s’assit au milieu d’un sofa de soie bleue. Madame de Staël, restée debout, continua sa conversation fort animée, et parlait avec éloquence ; je répondais à peine, les yeux attachés sur madame