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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

La société à Berlin me convenait par ses habitudes : entre cinq et six heures on allait en soirée ; tout était fini à neuf, et je me couchais tout juste comme si je n’eusse pas été ambassadeur. Le sommeil dévore l’existence, c’est ce qu’il y a de bon : « Les heures sont longues, et la vie est courte, » dit Fénelon. M. Guillaume de Humboldt[1], frère de mon illustre ami le baron Alexandre[2], était à Berlin : je l’avais connu ministre à Rome ; suspect au gouvernement à cause de ses opinions, il menait une vie retirée ; pour tuer le temps, il apprenait toutes les langues et même tous les patois de la terre. Il retrouvait les peuples, habitants anciens d’un sol, par les dénominations géographiques du pays. Une de ses filles parlait indifféremment le grec ancien ou le grec moderne ; si l’on fût tombé dans un bon jour, on aurait pu deviser à table en sanscrit.

Adelbert de Chamisso[3] demeurait au Jardin-des-

  1. Charles-Guillaume, baron de Humboldt (1767-1835). Il fut successivement ministre ou ambassadeur en Espagne, à Rome, à Vienne, en Angleterre. Il prit part, comme plénipotentiaire de la Prusse, aux congrès de Châtillon, de Vienne, d’Aix-la-Chapelle, et fut l’un des signataires de la paix de Paris en 1814. Son principal ouvrage, comme philologue, est un traité sur la Langue kawi dans l’île de Java. Ses Essais esthétiques sont considérés comme un des chefs-d’œuvre de la critique allemande.
  2. Frédévic-Henvi-Alexandre, baron de Humboldt (1769-1859), auteur du Cosmos, essai d’une description physique du monde, l’une des plus grandes œuvres de ce siècle.
  3. Louis-Charles-Adélaïde, dit, Adelbert de Chamisso de Boncourt (1781-1831), poète, romancier et savant allemand, né en Champagne, au château de Boncourt, d’une famille noble et originaire de Lorraine. Ses parents émigrèrent dès 1790 et l’emmenèrent en Allemagne. À quinze ans, il devint page de la reine de Prusse. À dix-sept ans, il entra au service, et il était lieutenant en 1801. Il revint en France après la paix de Tilsitt (1807),