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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

taille[1]. Je traversai Erfurt et Weimar : dans Erfurt, l’empereur manquait ; dans Weimar, habitait Gœthe que j’avais tant admiré, et que j’admire beaucoup moins. Le chantre de la matière vivait, et sa vieille poussière se modelait encore autour de son génie. J’aurais pu voir Gœthe, et je ne l’ai point vu ; il laisse un vide dans la procession des personnages célèbres qui ont défilé sous mes yeux.

Le tombeau de Luther à Wittemberg ne me tenta point : le protestantisme n’est en religion qu’une hérésie illogique ; en politique, qu’une révolution avortée. Après avoir mangé, en passant l’Elbe, un petit pain noir pétri à la vapeur du tabac, j’aurais eu besoin de boire dans le grand verre de Luther, conservé comme une relique. De là, traversant Potsdam et franchissant la Sprée, rivière d’encre sur laquelle se traînent des barques gardées par un chien blanc, j’arrivai à Berlin. Là demeura, comme je l’ai dit, le faux Julien dans sa fausse Athènes. Je cherchai en vain le soleil du mont Hymette. J’ai écrit à Berlin le quatrième livre de ces Mémoires. Vous y avez trouvé la description de cette ville, ma course à Potsdam, mes souvenirs du grand Frédéric, de son cheval, de ses levrettes et de Voltaire.

Descendu le 11 janvier à l’auberge, j’allai demeurer ensuite Sous les Tilleuls, dans l’hôtel qu’avait quitté M. le marquis de Bonnay, et qui appartenait à madame la duchesse de Dino : j’y fus reçu par MM. de Caux, de Flavigny et de Cussy[2], secrétaires de la légation.

  1. Celle du 6 septembre 1631 gagnée par Gustave-Adolphe, et celle du 19 octobre 1813 perdue par Napoléon.
  2. Sur M. de Caux et M. de Cussy, voir, au tome I, la note 1