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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

france auquel il était parvenu. M. de Las Cases ayant écrit à Lucien sur un morceau de soie blanche, en contravention avec les règlements, reçut l’ordre de quitter Sainte-Hélène[1] : son absence augmenta le vide autour du banni.

  1. Le renvoi de Las Cases eut lieu le 27 novembre 1816. L’Histoire de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène, d’après les documents officiels inédits et les manuscrits de sir Hudson Lowe, publiée par William Forsyth, renferme sur cet épisode d’intéressants détails. Dans une lettre particulière au comte Bathurst, datée du 3 décembre 1816, sir Hudson Lowe annonce qu’il a saisi les papiers de M. de Las Cases, et qu’avec l’assentiment de ce dernier, il a pu les parcourir. « Ils remplissaient, dit-il, un coffre et un portefeuille. J’y ai trouvé les brouillons des campagnes de Bonaparte en Italie, dictées par lui-même, avec les notes et documents les concernant ; puis, sa correspondance officielle avec sir George Cockburn et avec moi. Je me suis fait une loi de ne rien regarder de la première de ces deux collections plus que ce qui était nécessaire pour m’assurer que c’étaient bien les papiers spécifiés. Elle a été ensuite rapportée au général Bonaparte avec le cachet du comte Las Cases, ainsi que la correspondance officielle. Il reste une collection d’une plus haute importance, qui est réclamée également par Bonaparte et par Las Cases ; c’est un journal très volumineux tenu par le comte Las Cases, qui y a inséré tout ce qui est arrivé au général Bonaparte depuis l’époque où il a quitté Paris jusqu’au jour où l’arrestation du comte a eu lieu. Ses actes, ses conversations, ses remarques, des copies de toutes ses remontrances, y compris les lettres de Montholon, ses gestes même y sont notés ; le tout est écrit avec la minutie de la Vie de Johnson par Boswell, la force de langage du général Bonaparte et l’embellissement de style du comte Las Cases ; j’ai obtenu le consentement même du comte Las Cases pour parcourir cette collection. Tout y est sacrifié au grand objet de présenter à la postérité le général Bonaparte comme un modèle d’excellence et de vertu. Les faits y sont altérés, les conversations rapportées seulement par moitié, ses propres expressions répétées, les réponses omises ; j’ai remarqué que tel était particulièrement le cas dans les conversations que j’ai eues moi-même avec lui-même, celles qui avaient lieu en présence de témoins. Le général Bonaparte a