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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Paoli, Hyacinthe et surtout Pascal, avaient rempli l’Europe du bruit de leur nom. Buttafuoco[1] pria J.-J. Rousseau d’être le législateur de la Corse[2] ; le philosophe de Genève songeait à s’établir dans la patrie de celui qui, en dérangeant les Alpes, emporta Genève sous son bras. « Il est encore en Europe, écrivait Rousseau, un pays capable de législation ; c’est l’ile de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériteraient bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J’ai quelque pressentiment qu’un jour cette petite île étonnera l’Europe[3]. »

    parvenu, après d’étranges aventures, à se faire nommer roi de Corse en 1736 sous le nom de Théodore Ier, et à délivrer presque en entier son royaume de la tyrannie génoise. Obligé de quitter la Corse pour chercher de nouveaux secours sur le continent, il tenta d’y revenir en 1738 et en 1743 et, empêché de débarquer, se réfugia à Londres où ses créanciers le firent enfermer dans la prison pour dettes. En 1753, Horace Walpole ouvrit en sa faveur une souscription, dont le produit servit à adoucir les rigueurs de sa captivité, et plus tard il lui fit ériger un tombeau dans le cimetière de Sainte-Anne de Westminster.

  1. Mathieu, comte de Buttafuoco (1731-1806). Lors de la réunion de la Corse à la France, à laquelle les Génois venaient de céder leurs droits (1768), il devint un des principaux agents choisis par le ministre Choiseul pour traiter avec Pascal Paoli, qui ne consentait qu’au protectorat français ; Buttafuoco réussit à faire prévaloir l’annexion. Il fut élu en 1789, par la noblesse de l’île de Corse, député aux États-Généraux, et siégea dans les rangs de la minorité. Il émigra après la session, rentra en Corse avec les Anglais en 1794 et resta, à partir de ce moment, étranger à la vie politique.
  2. Le Projet de constitution pour les Corses, par J.-J. Rousseau a été publié pour la première fois en 1861 dans le volume de M. Streckeisen-Moulton, Œuvres et correspondance inédites de J.-J. Rousseau.
  3. Contrat social, livre II, chapitre X.