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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

écu trois fleurs de lis d’or. Napoléon souriait d’un air d’incrédulité à cette généalogie, mais il souriait : c’était toujours un royaume revendiqué au profit de sa famille. Napoléon affectait une indifférence qu’il n’avait pas, car il avait lui-même fait venir sa généalogie de Toscane (Bourrienne). Précisément parce que la divinité de la naissance manque à Bonaparte, cette naissance est merveilleuse : « Je voyais, dit Démosthène, ce Philippe contre qui nous combattions pour la liberté de la Grèce et le salut de ses Républiques, l’œil crevé, l’épaule brisée, la main affaiblie, la cuisse retirée, offrir avec une fermeté inaltérable tous ses membres aux coups du sort, satisfait de vivre pour l’honneur et de se couronner des palmes de la victoire. »

Or, Philippe était père d’Alexandre ; Alexandre était donc fils de roi et d’un roi digne de l’être ; par ce double fait, il commanda l’obéissance. Alexandre, né sur le trône, n’eut pas, comme Bonaparte, une petite vie à traverser afin d’arriver à une grande vie. Alexandre n’offre pas la disparate de deux carrières ; son précepteur est Aristote ; dompter Bucéphale est un des passe-temps de son enfance. Napoléon pour s’instruire n’a qu’un maître vulgaire ; des coursiers ne sont point à sa disposition ; il est le moins riche de ses compagnons d’étude. Ce sous-lieutenant d’artillerie, sans serviteurs, va tout à l’heure obliger l’Europe à le reconnaître ; ce petit caporal mandera dans ses antichambres les plus grands souverains de l’Europe :

Ils ne sont pas venus, nos deux rois ? Qu’on leur die
Qu’ils se font trop attendre et qu’Attila s’ennuie.