Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

croissants semblait appelé à changer les dynasties royales, à rendre la sienne la plus âgée de toutes. Il avait fait rois les électeurs de Bavière, de Wurtemberg et de Saxe ; il avait donné la couronne de Naples à Murat, celle d’Espagne à Joseph, celle de Hollande à Louis, celle de Westphalie à Jérôme ; sa sœur, Élisa Bacciochi, était princesse de Lucques ; il était, pour son propre compte, empereur des Français, roi d’Italie, dans lequel royaume se trouvaient compris Venise, la Toscane, Parme et Plaisance ; le Piémont était réuni à la France ; il avait consenti à laisser régner en Suède un de ses capitaines, Bernadotte ; par le traité de la confédération du Rhin, il exerçait les droits de la maison d’Autriche sur l’Allemagne ; il s’était déclaré médiateur de la confédération helvétique ; il avait jeté bas la Prusse ; sans posséder une barque, il avait déclaré les Îles Britanniques en état de blocus. L’Angleterre malgré ses flottes fut au moment de n’avoir pas un port en Europe pour y décharger un ballot de marchandises ou pour y mettre une lettre à la poste.

Les États du pape faisaient partie de l’empire français ; le Tibre était un département de la France. On voyait dans les rues de Paris des cardinaux demi-prisonniers qui, passant la tête à la portière de leur fiacre, demandaient : « Est-ce ici que demeure le roi de… ? — Non, répondait le commissionnaire interrogé, c’est plus haut. » L’Autriche ne s’était rachetée qu’en livrant sa fille : le chevaucheur du midi réclama Honoria de Valentinien, avec la moitié des provinces de l’empire.

Comment s’étaient opérés ces miracles ? Quelles qualités possédait l’homme qui les enfanta ? Quelles qua-