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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Vous savez la mutabilité de ma vie dans mon état de voyageur et soldat ; vous connaissez mon existence littéraire depuis 1800 jusqu’à 1813, année où vous m’avez laissé à la Vallée-aux-Loups qui m’appartenait encore, lorsque ma carrière politique s’ouvrit. Nous entrons présentement dans cette carrière : avant d’y pénétrer, force m’est de revenir sur les faits généraux que j’ai sautés en ne m’occupant que de mes travaux et de mes propres aventures : ces faits sont de la façon de Napoléon. Passons donc à lui ; parlons du vaste édifice qui se construisait en dehors de mes songes. Je deviens maintenant historien sans cesser d’être écrivain de mémoires ; un intérêt public va soutenir mes confidences privées ; mes petits récits se grouperont autour de ma narration.

Lorsque la guerre de la Révolution éclata, les rois ne la comprirent point ; ils virent une révolte où ils auraient dû voir le changement des nations, la fin et le commencement d’un monde : ils se flattèrent qu’il ne s’agissait pour eux que d’agrandir leurs États de quelques provinces arrachées à la France ; ils croyaient à l’ancienne tactique militaire, aux anciens traités diplomatiques, aux négociations des cabinets ; et des conscrits allaient chasser les grenadiers de Frédéric, des monarques allaient venir solliciter la paix dans les antichambres de quelques démagogues obscurs, et la terrible opinion révolutionnaire allait dénouer sur les échafauds les intrigues de la vieille Europe. Cette vieille Europe pensait ne combattre que la France ; elle ne s’apercevait pas qu’un siècle nouveau marchait sur elle.

Bonaparte dans le cours de ses succès toujours