Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
56
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ment l’ouvrage fut retrouvé en Angleterre par les soins et les obligeantes recherches de MM. de Thuisy[1].

  1. « Lorsqu’en 1800 je quittai l’Angleterre pour rentrer en France sous un nom supposé, je n’osai me charger d’un trop gros bagage : je laissai la plupart de mes manuscrits à Londres. Parmi ces manuscrits se trouvait celui des Natchez, dont je n’apportais à Paris que René, Atala et quelques descriptions de l’Amérique.

    « Quatorze années s’écoulèrent avant que les communications avec la Grande-Bretagne se rouvrissent. Je ne songeai guère à mes papiers dans le premier moment de la Restauration ; et d’ailleurs comment les retrouver ? Ils étaient restés renfermés dans une malle, chez une Anglaise qui m’avait loué un petit appartement à Londres. J’avais oublié le nom de cette femme ; le nom de la rue et le numéro de la maison où j’avais demeuré, étaient également sortis de ma mémoire.

    « Sur quelques renseignements vagues et même contradictoires, que je fis passer à Londres, MM. de Thuisy eurent la bonté de commencer des recherches ; ils les poursuivirent avec un zèle, une persévérance dont il y a très peu d’exemples…

    « Ils découvrirent d’abord avec une peine infinie la maison que j’avais habitée dans la partie ouest de Londres, mais mon hôtesse était morte depuis plusieurs années, et l’on ne savait ce que ses enfants étaient devenus. D’indications en indications, de renseignements en renseignements, MM. de Thuisy, après bien des courses infructueuses, retrouvèrent enfin, dans un village à plusieurs milles de Londres, la famille de mon hôtesse.

    « Avait-elle gardé la malle d’un émigré, une malle remplie de vieux papiers à peu près indéchiffrables ? N’avait-elle point jeté au feu cet inutile ramas de manuscrits français ?

    « D’un autre côté, si mon nom sorti de son obscurité avait attiré dans les journaux de Londres l’attention des enfants de mon ancienne hôtesse, n’avaient-ils point voulu profiter de ces papiers, qui dès lors acquéraient une certaine valeur ?

    « Rien de tout cela n’était arrivé : les manuscrits avaient été conservés ; la malle n’avait pas même été ouverte. Une religieuse fidélité, dans une famille malheureuse, avait été gardée à un enfant du malheur. J’avais confié avec simplicité le produit des travaux d’une partie de ma vie à la probité d’un dépositaire étranger, et mon trésor m’était rendu avec la même simplicité. Je ne connais rien qui m’ait plus touché dans ma vie que la