Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sant qu’il va former un anneau dans la chaîne de cette illustre lignée ? Accablé du poids de ces noms immortels, ne pouvant me faire reconnaître à mes talents pour héritier légitime, je tâcherai du moins de prouver ma descendance par mes sentiments.

« Quand mon tour sera venu de céder ma place à l’orateur qui doit parler sur ma tombe, il pourra traiter sévèrement mes ouvrages ; mais il sera forcé de dire que j’aimais avec transport ma patrie, que j’aurais souffert mille maux plutôt que de coûter une seule larme à mon pays, que j’aurais fait sans balancer le sacrifice de mes jours à ces nobles sentiments, qui seuls donnent du prix à la vie et de la dignité à la mort.

« Mais quel temps ai-je choisi, messieurs, pour vous parler de deuil et de funérailles ! Ne sommes-nous pas environnés de fêtes ? Voyageur solitaire, je méditais il y a quelques jours sur la ruine des empires détruits : et je vois s’élever un nouvel empire. Je quitte à peine ces tombeaux où dorment les nations ensevelies, et j’aperçois un berceau chargé des destinées de l’avenir. De toutes parts retentissent les acclamations du soldat. César monte au Capitole ; les peuples racontent les merveilles, les monuments élevés, les cités embellies, les frontières de la patrie baignées par ces mers lointaines qui portaient les vaisseaux de Scipion, et par ces mers reculées que ne vit pas Germanicus.

« Tandis que le triomphateur s’avance entouré de ses légions, que feront les tranquilles enfants des Muses ? ils marcheront au-devant du char pour