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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

n’en restait pas moins dans une situation très embarrassée. Il écrivait à la chère sœur : « Vous êtes la seule personne à qui je peux dire : N’oubliez pas le trimestre ; au lieu qu’avec tout autre, je me tairai. Dans ce temps-ci, on n’a pas le sou ; si ce n’était pas ce temps-ci, je n’aurais besoin de personne. Je suis si las de toutes ces misères, que je vous prie de n’en plus parler. » Et l’année suivante encore, en 1813, il est si peu sorti de ses misères et de ses embarras, qu’il écrit, toujours à Mme de Duras : « Faute d’argent, j’ai renoncé aux eaux et à tous les projets de voyage. Je suis confiné dans mon désert. Je travaille à l’histoire… Il est singulier comme cette histoire de France est toute à faire, et comme on s’en est jamais douté. » Et puis sa tristesse le reprend, il veut quitter la France : « C’est bien dommage, chère sœur, qu’il faille abandonner cette belle entreprise pour aller mourir en Russie. Je ne sais que vous dire de notre petite société. Je n’entends plus parler de personne, si ce n’est de quelques créanciers qui me donnent de temps en temps signe de vie. On passe très bien une heure ou deux avec cela, comme avec la torture. »

Il me semble bien qu’il ne reste rien de l’étrange allégation du comte Ferrand. Encore un mot cependant.

Chateaubriand, nous l’avons vu tout à l’heure, écrivait à Mme de Duras : « Si je puis parvenir à garder mon champ et mes livres, je serai la plus heureuse personne de la terre. » À la fin de 1816, à la date où M. Ferrand écrit que l’auteur des Martyrs s’est vendu à l’Empire pour 70 000 francs, Chateaubriand fait sans hésiter, alors que rien ne l’y oblige, le sacrifice de son titre de ministre d’État, qui représentait pour lui un traitement annuel de 24 000 francs. Il se condamne volontairement à une telle gêne, qu’il est forcé de vendre son champ et ses livres. Le Journal des Débats du 12 avril 1817 annonce la mise aux enchères de la Vallée-aux-Loups, et le même journal annonce, le 29 avril,