tanes, comme conseiller d’État, et comme grand-maître de l’Université, vous mériteriez que je vous misse à Vincennes ! » M. de Ségur répliqua : « Je ne vous crois point capable, sire, de cette injustice. On peut trouver naturel d’entendre blâmer la condamnation à mort de Louis XVI sans croire contrarier un gouvernement qui vient de dresser à Saint-Denis des autels expiatoires ! » À ces mots, l’Empereur en colère, frappant du pied, s’écria : « Je sais ce que je dois faire, et quand et comment je dois le faire ! Ce n’est point à vous de le juger, vous n’êtes point ici au Conseil d’État, et je ne vous demande point votre avis ! — Je ne le donne pas, répondit M. de Ségur, je me justifie ! — Et comment, reprit l’Empereur, justifiez-vous une pareille inconvenance ? — Sire, M. de Chateaubriand, dans son discours, compare Chénier à Milton, qui était un grand homme, et, quand il le condamne, c’est en ne traitant que d’erreur d’une âme élevée le républicanisme et le vote de Chénier. Je n’ai vu à cela rien d’inconvenant. — Enfin, ajouta Napoléon, au lieu de faire l’éloge de son prédécesseur, il a condamné tous les régicides, dont une partie est dans l’Institut. L’auriez-vous osé comme lui en face d’eux ? — Et c’est justement, sire, dit M. de Ségur, ce que j’ai fait dans le Tableau politique de l’Europe[1], quand ils gouvernaient encore, sous la République, et là, ce que M. de Chateaubriand appelle seulement une erreur, je l’ai appelé un crime ! Ces messieurs ne m’en ont pas su mauvais gré, ils sont plus accoutumés que vous ne le pensez aux discussions politiques. — Monsieur, reprit l’Empereur, on lit froidement un ouvrage dans son cabinet, il n’en est pas de même d’un discours prononcé en public, cela aurait fait un scandale honteux. — En le permettant, répondit M. de Ségur, ç’aurait été tout au plus un scandale de vingt-quatre heures ; en le défendant, ce sera peut-être celui d’un mois ! — Je vous répète, Monsieur,
- ↑ Tableau historique et politique de l’Europe, de 1766 à 1796.