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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dait dans une pièce voisine, fut aussitôt prévenu de cette décision.[1]

Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, l’un des familiers de l’Empereur, courut l’avertir de cet incident, plus politique à ses yeux que littéraire. Il était porteur du discours, dont Napoléon prit immédiatement connaissance. Grande fut son irritation. Tout le discours lui parut dirigé contre lui. Le comte de Ségur, grand maître des cérémonies et membre de la seconde classe, était de ceux qui avaient opiné pour que le discours fût admis. Ce fut lui qui reçut le premier les éclats de la colère du Maître. Son fils, le général Philippe de Ségur, nous a conservé, dans ses Mémoires, tous les détails de cet incident. C’était le 24 avril, le soir, à Saint-Cloud. Il y avait spectacle. L’Empereur, au sortir de sa loge, rencontrant le grand maître des cérémonies, lui dit assez brusquement : « Venez au coucher, monsieur ! » Le comte de Ségur l’y suivit. Napoléon, dès qu’il l’aperçut en avant de la foule nombreuse d’officiers de sa cour rangés en cercle autour de sa personne, vint droit à lui. « Monsieur, s’écria-t-il aussitôt, les gens de lettres veulent donc mettre le feu à la France ! J’ai mis tous mes soins à apaiser les partis, à rétablir le calme, et les idéologues voudraient rétablir l’anarchie ! Sachez, monsieur, que la résurrection de la monarchie est un mystère. C’est comme l’arche ! Ceux qui y touchent peuvent être frappés de la foudre ! Comment l’Académie ose-t-elle parler des régicides quand moi, qui suis couronné et qui dois les haïr plus qu’elle, je dîne avec eux et je m’asseois à côté de Cambacérès ? — Votre Majesté, répondit M. de Ségur, veut sans doute parler de la commission de l’Institut, mais je ne vois pas en quoi elle a pu mériter de pareils reproches. — Elle en a mérité de plus graves, repartit l’Empereur, et vous et M. de Fon-

  1. Villemain, M. de Chateaubriand, sa vie, ses écrits, son influence littéraire et politique sur son temps. p. 184.