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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Et à quelques jours de là, le 1er septembre, Joubert, qui avait un instant tremblé pour son ami, écrivait à Chênedollé : « Le pauvre garçon (Chateaubriand) a eu pour sa part d’assez grièves tribulations. L’article qui m’avait tant mis en colère est resté quelque temps suspendu sur sa tête, mais à la fin le tonnerre a grondé, le nuage a crevé, et la Foudre en propre personne a dit à Fontanes que si son ami recommençait, il serait frappé. Tout cela a été vif et même violent, mais court… »

Napoléon, d’ailleurs, ne s’en tint point à une simple menace. Chateaubriand, nous l’avons vu, avait acheté la propriété du Mercure pour une somme de 20 000 francs. C’était à peu près toute sa fortune. Il en fut dépossédé. Au mois d’octobre 1807, le privilège du Mercure lui fut retiré, et ce recueil fut réuni à la Décade, organe du parti opposé, et qui s’intitulait alors : Revue philosophique, littéraire et politique[1].

Chateaubriand était ruiné ; mais, outre que la chose pour lui n’était pas nouvelle, il se pouvait consoler en voyant le prodigieux succès de son article. On en multipliait les copies, on en apprenait par cœur les passages les plus significatifs. M. Guizot relate, à ce sujet, dans ses Mémoires, un curieux épisode de sa jeunesse :


En août 1807, dit-il, je m’arrêtai quelques jours en Suisse en allant voir ma mère à Nîmes, et dans le confiant empressement de ma jeunesse, aussi curieux des grandes renommées qu’encore inconnu moi-même, j’écrivis à Mme de Staël pour lui demander l’honneur de la voir. Elle m’invita à dîner à Ouchy, près de Lausanne, où elle se trouvait alors. J’étais assis à côté d’elle ; je venais de Paris ; elle me questionna sur ce qui s’y passait, ce qu’on y disait, ce qui occupait le public et les salons. Je parlai d’un article de M. de Chateaubriand dans le Mercure, qui faisait du bruit au moment de mon départ. Une phrase surtout m’avait frappé, et je la citai textuellement, car elle s’était gravée dans

  1. Histoire politique et littéraire de la Presse en France, par Eugène Hatin. t. VII, p. 569.