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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pour de la raison ne trouvassent ridicule qu’un citoyen obscur osât lutter seul contre toute la puissance de Sylla. »

D’après Chateaubriand, quand l’article fut mis sous les yeux de l’Empereur, celui-ci se serait écrié : « Chateaubriand croit-il que je suis un imbécile, que je ne le comprends pas ! je le ferai sabrer sur les marches des Tuileries. » — Sainte-Beuve ne veut pas que Napoléon se soit laissé aller à cette violence de langage et qu’il ait proféré une telle menace. Il semble bien pourtant qu’ici encore Chateaubriand ne s’est pas départi de son habituelle exactitude. M. Villemain, qui avait été sous l’Empire, le disciple chéri et le confident de Fontanes, raconte, en effet, cet incident dans les mêmes termes que Chateaubriand, mais avec des détails plus précis, qu’il tenait évidemment de Fontanes lui-même : « Après le lourd et méticuleux silence, écrit-il, qu’imposait alors la police de l’Empire, Napoléon fut très irrité de cet article du Mercure. Il en parla lui-même dans sa cour avec impatience et menace. « Chateaubriand, dit-il à M. de Fontanes, devant le grand maréchal Duroc, croit-il que je suis un imbécile, que je ne le comprends pas ? je le ferai sabrer sur les marches de mon palais[1]. »

Je trouve encore un écho de la grande et très réelle colère de Napoléon, dans la lettre qu’il écrivait de Saint-Cloud à M. de Lavallette, le 14 août 1807 : « Il est temps enfin que ceux qui ont, directement ou indirectement, pris part aux affaires des Bourbons, se souviennent de l’Histoire sainte et de ce qu’a fait David[2] contre la race d’Achab. Cette observation est bonne aussi pour M. de Chateaubriand et pour sa clique[3]. »

  1. Villemain, M. de Chateaubriand, p. 160.
  2. Il veut dire Jéhu.
  3. Lettres Inédites de Napoléon Ier, publiées par Léon Lecestre, t. I, p. 100. — 1897.