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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sauvages dans les marais à folle avoine du Missouri. Arrêté au bord de l’eau, tandis qu’on immergeait des zones de toile écrue, mes yeux erraient sur les clochers de la ville ; l’histoire m’apparaissait sur les nuages du ciel.

Les Gantois s’insurgent contre Henri de Châtillon, gouverneur pour la France ; la femme d’Édouard III met au monde Jean de Gand, tige de la maison de Lancastre ; règne populaire d’Artevelle : « Bonnes gens, qui vous meut ? Pourquoi êtes-vous si troublés sur moi ? En quoi puis-je vous avoir courroucés ? » — Il vous faut mourir ! criait le peuple : c’est ce que le temps nous crie à tous. Plus tard je voyais les ducs de Bourgogne ; les Espagnols arrivaient. Puis la pacification, les sièges et les prises de Gand.

Quand j’avais rêvé parmi les siècles, le son d’un petit clairon ou d’une musette écossaise me réveillait. J’apercevais des soldats vivants qui accouraient pour rejoindre les bataillons ensevelis de la Batavie : toujours destructions, puissances abattues ; et, en fin de compte, quelques ombres évanouies et des noms passés.

La Flandre maritime fut un des premiers cantonnements des compagnons de Clodion et de Clovis. Gand, Bruges et leurs campagnes fournissaient près d’un dixième des grenadiers de la vieille garde : cette terrible milice fut tirée en partie du berceau de nos pères, et elle s’est venue faire exterminer auprès de ce berceau. La Lys[1] a-t-elle donné sa fleur aux armes de nos rois ?

  1. La Lys, rivière de France et de Belgique, qui prend sa source un peu au-dessous de Béthune et se jette dans l’Escaut à Gand.