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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

au conseil pour amender la charte ; le duc de Lévis allait faire sa cour avec des savates débordées qui lui sortaient des pieds, parce que, fort brave et nouvel Achille, il avait été blessé au talon. Il était plein d’esprit, on peut en juger par le recueil de ses pensées[1].

Le duc de Wellington venait de temps en temps passer des revues. Louis XVIII sortait chaque après-dînée dans un carrosse à six chevaux avec son premier gentilhomme de la chambre et ses gardes, pour faire le tour de Gand, tout comme s’il eût été dans Paris. S’il rencontrait dans son chemin le duc de Wellington,

  1. Gaston-Pierre-Marc, duc de Lévis (1764-1830). Après avoir fait partie de la Constituante comme député de la noblesse du bailliage de Senlis, il émigra pour aller servir à l’armée des princes (1792). Blessé à Quiberon (1795), il réussit à s’embarquer pour l’Angleterre, ne revint en France qu’après le 18 brumaire, et s’occupa alors, non sans succès, de travaux littéraires. Il publia successivement, de 1808 à 1814, Maximes et réflexions sur différents sujets, la Suite des quatre Facardins, imitation des Contes d’Hamilton, Voyage de Khani ou Nouvelles Lettres chinoises, Souvenirs et Portraits, L’Angleterre au commencement du XIXe siècle. Nommé pair de France par Louis XVIII le 4 juin 1814, il fut fait, en 1815, membre du conseil privé, et entra à l’Académie française par ordonnance royale en 1816. — Mme de Chateaubriand, dans ses Souvenirs, trace ce piquant portrait du duc de Lévis : « En fait de femmes de la Société, il n’y avait de Françaises à Gand que Mme la duchesse de Duras, la duchesse de Lévis, la duchesse de Bellune, la marquise de la Tour du Pin et moi ; encore la duchesse de Lévis y vint-elle fort tard avec son mari, qui arriva en si piteux équipage que M. de Chateaubriand fut obligé de lui prêter jusqu’à des bas pour aller chez le roi : les bas allaient encore, mais pour le reste, c’était une vraie toilette de carnaval : le bon duc ne s’en mettait pas plus en peine à Gand qu’aux Tuileries, où sa garde-robe n’était pas mieux montée. Les souliers, par exemple, manquaient toujours ; il s’était abonné aux savates parce que, disait-il, il avait eu une blessure au talon qui l’empêchait de relever les quartiers de son soulier. »