Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/521

Cette page a été validée par deux contributeurs.
507
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

royale tristesse ; il n’y a pas un de vos conseillers et de vos ministres qui ne donnât sa vie pour prévenir l’invasion de la France. Sire, vous êtes Français, nous sommes Français ! Sensibles à l’honneur de notre patrie, fiers de la gloire de nos armes, admirateurs du courage de nos soldats, nous voudrions, au milieu de leurs bataillons, verser jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour les ramener à leur devoir ou pour partager avec eux des triomphes légitimes. Nous ne voyons qu’avec la plus profonde douleur les maux prêts à fondre sur notre pays. »

Ainsi, à Gand, je proposais de donner à la charte ce qui lui manquait encore, et je montrais ma douleur de la nouvelle invasion qui menaçait la France : je n’étais pourtant qu’un banni dont les vœux étaient en contradiction avec les faits qui me pouvaient rouvrir les portes de ma patrie. Ces pages étaient écrites dans les États des souverains alliés, parmi des rois et des émigrés qui détestaient la liberté de la presse, au milieu des armées marchant à la conquête, et dont nous étions, pour ainsi dire, les prisonniers : ces circonstances ajoutent peut-être quelque force aux sentiments que j’osais exprimer.

Mon rapport, parvenu à Paris, eut un grand retentissement ; il fut réimprimé par M. Le Normant fils, qui joua sa vie dans cette occasion, et pour lequel j’ai eu toutes les peines du monde à obtenir un brevet stérile d’imprimeur du roi. Bonaparte agit ou laissa agir d’une manière peu digne de lui : à l’occasion de mon rapport on fit ce que le Directoire avait fait à l’apparition des Mémoires de Cléry, on en falsifia des