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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

et la pureté de son goût, l’élégance exquise de sa prose, la beauté, la force, l’harmonie de ses vers, qui, formés sur les grands modèles, se distinguent néanmoins par un caractère original. Je vanterais ce talent supérieur qui ne connut jamais les sentiments de l’envie, ce talent heureux de tous les succès qui ne sont pas les siens, ce talent qui depuis dix années ressent tout ce qui peut m’arriver d’honorable, avec cette joie naïve et profonde connue seulement des plus généreux caractères et de la plus vive amitié. Mais je n’omettrais pas la partie politique de mon ami. Je le peindrais à la tête d’un des premiers corps de l’État, prononçant ces discours qui sont des chefs-d’œuvre de bienséance, de mesure et de noblesse. Je le représenterais sacrifiant le doux commerce des Muses à des occupations qui seraient sans doute sans charmes, si l’on ne s’y livrait dans l’espoir de former des enfants capables de suivre un jour l’exemple de leurs pères et d’éviter nos erreurs.

« En parlant des hommes de talent dont se compose cette assemblée, je ne pourrais donc m’empêcher de les considérer sous le rapport de la morale et de la société. L’un se distingue au milieu de vous par un esprit fin, délicat et sage, par une urbanité si rare aujourd’hui, et par la constance la plus honorable dans ses opinions modérées[1]. L’autre, sous les glaces de l’âge, a retrouvé toute la chaleur de la jeunesse pour plaider la cause des malheureux[2]. Celui-

  1. M. Suard.
  2. l’abbé Morellet, qui avait publié en 1795 deux éloquents écrits en faveur des victimes de la Révolution, le Cri des familles et la Cause des pères.