Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/512

Cette page a été validée par deux contributeurs.
498
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

correspondance avec les préfets, sous-préfets, maires et adjoints de nos bonnes villes, du côté intérieur de nos frontières ; je ne réparais pas beaucoup les chemins et je laissais tomber les clochers ; mon budget ne m’enrichissait guère ; je n’avais point de fonds secrets ; seulement, par un abus criant, je cumulais ; j’étais toujours ministre plénipotentiaire de Sa Majesté auprès du roi de Suède, qui, comme son compatriote Henri IV, régnait par droit de conquête, sinon par droit de naissance. Nous discourions autour d’une table couverte d’un tapis vert dans le cabinet du roi. M. de Lally-Tolendal, qui était, je crois, ministre de l’instruction publique, prononçait des discours plus amples, plus joufflus encore que sa personne : il citait ses illustres aïeux les rois d’Irlande et embarbouillait le procès de son père dans celui de Charles Ier et de Louis XVI. Il se délassait le soir des larmes, des sueurs et des paroles qu’il avait versées au conseil, avec une dame accourue de Paris par enthousiasme de son génie ; il cherchait vertueusement à la guérir, mais son éloquence trompait sa vertu et enfonçait le dard plus avant.

Madame la duchesse de Duras était venue rejoindre M. le duc de Duras parmi les bannis. Je ne veux plus dire de mal du malheur, puisque j’ai passé trois mois auprès de cette femme excellente, causant de tout ce que des esprits et des cœurs droits peuvent trouver dans une conformité de goûts, d’idées, de principes et de sentiments. Madame de Duras était ambitieuse pour moi : elle seule a connu d’abord ce que je pouvais valoir en politique ; elle s’est toujours désolée de l’envie et de l’aveuglement qui m’écartaient des con-