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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dame de Chateaubriand souffrante : elle regardait à tout moment par la lucarne du fond de la voiture si nous n’étions pas poursuivis. Nous couchâmes à Amiens, où naquit Du Cange ; ensuite à Arras, patrie de Robespierre : là, je fus reconnu. Ayant envoyé demander des chevaux, le 22 au matin, le maître de poste les dit retenus pour un général qui portait à Lille la nouvelle de l’entrée triomphale de l’empereur et roi à Paris ; madame de Chateaubriand mourait de peur, non pour elle, mais pour moi. Je courus à la poste et, avec de l’argent, je levai la difficulté.

Arrivés sous les remparts de Lille le 23, à deux heures du matin, nous trouvâmes les portes fermées ; ordre était de ne les ouvrir à qui que ce soit. On ne put ou on ne voulut nous dire si le roi était entré dans la ville. J’engageai le postillon pour quelques louis à gagner, en dehors des glacis, l’autre côté de la place et à nous conduire à Tournai ; j’avais, en 1792, fait à pied, pendant la nuit, ce même chemin avec mon frère. Arrivé à Tournai, j’appris que Louis XVIII était certainement entré dans Lille avec le maréchal Mortier, et qu’il comptait s’y défendre. Je dépêchai un courrier à M. de Blacas[1], le priant de

  1. Pierre-Louis-Jean-Casimir, duc de Blacas d’Aulps (1771-1839). Capitaine de cavalerie au moment de la Révolution, il émigra dès 1790, et servit à l’armée de Condé et en Vendée. Étant passé en Italie, il obtint la confiance du comte de Provence (depuis Louis XVIII), confiance qu’il justifia par le service le plus constant et le plus désintéressé. Il suivit Louis XVIII à Mittau et à Hartwell et ne rentra en France qu’avec lui. Les titres de ministre de la maison du roi, de grand-maître de la garde-robe, d’intendant des bâtiments récompensèrent alors son dévouement. À la seconde Restauration, le roi, qu’il avait accompagné à Gand le fit pair de France, ambassadeur à Naples,