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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

frayeur, et mon plan lui plaisait assez par une certaine grandeur louis-quatorzième ; mais d’autres figures étaient allongées. On emballait les diamants de la couronne (autrefois acquis des deniers particuliers des souverains), en laissant trente-trois millions écus au trésor et quarante-deux millions en effets. Ces soixante-quinze millions étaient le fruit de l’impôt : que ne le rendait-on au peuple plutôt que de le laisser à la tyrannie !

Une double procession montait et descendait les escaliers du pavillon du Flore ; on s’enquérait de ce qu’on avait à faire : point de réponse. On s’adressait au capitaine des gardes ; on interrogeait les chapelains, les chantres, les aumôniers : rien. De vaines causeries, de vains débits de nouvelles. J’ai vu des jeunes gens pleurer de fureur en demandant inutilement des ordres et des armes ; j’ai vu des femmes se trouver mal de colère et de mépris. Parvenir au roi, impossible ; l’étiquette fermait la porte.

La grande mesure décrétée contre Bonaparte fut un ordre de courir sus[1] : Louis XVIII, sans jambes, courir sus le conquérant qui enjambait la terre ! Cette formule des anciennes lois, renouvelée à cette occasion, suffit pour montrer la portée d’esprit des hommes d’État de cette époque. Courir sus en 1815 ! courir sus ! et sus qui ? sus un loup ? sus un chef de brigand ? sus un seigneur félon ? Non : sus Napoléon qui avait couru sus les rois, les avait saisis et marqués pour jamais à l’épaule de son N ineffaçable !

  1. Ordonnance royale du 6 mars, déclarant Bonaparte traître et rebelle et enjoignant à tout militaire, garde national ou simple citoyen « de lui courir sus ». — Moniteur, 7 mars.