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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

cœur. On pouvait déjà même compter sur une partie de l’armée ; les deux régiments suisses gardaient leur foi : le maréchal Gouvion Saint-Cyr ne fit-il pas reprendre la cocarde blanche à la garnison d’Orléans deux jours après l’entrée de Bonaparte dans Paris ? De Marseille à Bordeaux, tout reconnut l’autorité du roi pendant le mois de mars entier : à Bordeaux, les troupes hésitaient ; elles seraient restées à madame la duchesse d’Angoulême, si l’on avait appris que le roi était aux Tuileries et que Paris se défendait. Les villes de province eussent imité Paris. Le 10e de ligne se battit très bien sous le duc d’Angoulême ; Masséna se montrait cauteleux et incertain ; à Lille, la garnison répondit à la vive proclamation du maréchal Mortier. Si toutes ces preuves d’une fidélité possible eurent lieu en dépit d’une fuite, que n’auraient-elles point été dans le cas d’une résistance ?

Mon plan adopté, les étrangers n’auraient point de nouveau ravagé la France ; nos princes ne seraient point revenus avec les armées ennemies ; la légitimité eût été sauvée par elle-même. Une seule chose eût été à craindre après le succès : la trop grande confiance de la royauté dans ses forces, et par conséquent des entreprises sur les droits de la nation.

Pourquoi suis-je venu à une époque où j’étais si mal placé ? Pourquoi ai-je été royaliste contre mon instinct dans un temps où une misérable race de cour ne pouvait ni m’entendre ni me comprendre ? Pourquoi ai-je été jeté dans cette troupe de médiocrités qui me prenaient pour un écervelé, quand je parlais courage ; pour un révolutionnaire, quand je parlais liberté ?

Il s’agissait bien de défense ! Le roi n’avait aucune