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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

misérables peines de l’amour-propre et les jeux puérils de l’esprit.

« Certes, messieurs, ce serait nous traiter avec un mépris bien étrange ! Pour moi, je ne puis ainsi me rapetisser, ni me réduire à l’état d’enfance, dans l’âge de la force et de la raison. Je ne puis me renfermer dans le cercle étroit qu’on voudrait tracer autour de l’écrivain. Par exemple, messieurs, si je voulais faire l’éloge de l’homme de lettres, de l’homme de cour qui préside à cette assemblée[1], croyez-vous que je me contenterais de louer en lui cet esprit français, léger, ingénieux, qu’il a reçu de sa mère, et dont il offre parmi nous le dernier modèle ? Non sans doute : je voudrais encore faire briller dans tout son éclat le beau nom qu’il porte. Je citerais le duc de Boufflers qui fit lever aux Autrichiens le blocus de Gênes. Je parlerais du maréchal son père, de ce gouverneur qui disputa aux ennemis de la France les remparts de Lille, et consola par cette défense mémorable la vieillesse malheureuse d’un grand roi. C’est de ce compagnon de Turenne que Madame de Maintenon disait : En lui le cœur est mort le dernier. Enfin je passerais jusqu’à ce Louis de Boufflers, dit le Robuste, qui montrait dans les combats la vigueur et le courage d’Hercule. Ainsi je trouverais aux deux extrémités de cette famille la force et la grâce, le chevalier et le troubadour. On veut que les Français soient fils d’Hector : je croirais plutôt qu’ils descendent d’Achille, car ils manient, comme ce héros, la lyre et l’épée.

  1. M. de Boufflers.