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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Tuileries. Nous borderons de canons les quais et la terrasse de l’eau : que Bonaparte nous attaque dans cette position ; qu’il emporte une à une nos barricades ; qu’il bombarde Paris, s’il le veut et s’il a des mortiers ; qu’il se rende odieux à la population entière, et nous verrons le résultat de son entreprise ! Résistons seulement trois jours, et la victoire est à nous. Le roi, se défendant dans son château, causera un enthousiasme universel. Enfin, s’il doit mourir, qu’il meure digne de son rang ; que le dernier exploit de Napoléon soit l’égorgement d’un vieillard. Louis XVIII, en sacrifiant sa vie, gagnera la seule bataille qu’il aura livrée ; il la gagnera au profit de la liberté du genre humain. »

Ainsi je parlai : on n’est jamais reçu à dire que tout est perdu quand on n’a rien tenté. Qu’y aurait-il eu de plus beau qu’un vieux fils de saint Louis renversant avec des Français, en quelques moments, un homme que tous les rois conjurés de l’Europe avaient mis tant d’années à abattre ?

Cette résolution, en apparence désespérée, était au fond très raisonnable et n’offrait pas le moindre danger. Je resterai à toujours convaincu que Bonaparte, trouvant Paris ennemi et le roi présent, n’aurait pas essayé de les forcer. Sans artillerie, sans vivres, sans argent, il n’avait avec lui que des troupes réunies au hasard, encore flottantes, étonnées de leur brusque changement de cocarde, de leurs serments prononcés à la volée sur les chemins : elles se seraient promptement divisées. Quelques heures de retard perdaient Napoléon ; il suffisait d’avoir un peu de