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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

court à Lyon avec le duc d’Orléans et le maréchal Macdonald ; il en revient aussitôt. Le maréchal Soult, dénoncé à la Chambre des députés, cède sa place le 11 mars au duc de Feltre. Bonaparte rencontra devant lui, pour ministre de la guerre de Louis XVIII en 1815, le général qui avait été son dernier ministre de la guerre en 1814.

La hardiesse de l’entreprise était inouïe. Sous le point de vue politique, on pourrait regarder cette entreprise comme le crime irrémissible et la faute capitale de Napoléon. Il savait que les princes encore réunis au congrès, que l’Europe encore sous les armes, ne souffriraient pas son rétablissement ; son jugement devait l’avertir qu’un succès, s’il l’obtenait, ne pouvait être que d’un jour : il immolait à sa passion de reparaître sur la scène le repos d’un peuple qui lui avait prodigué son sang et ses trésors ; il exposait au démembrement la patrie dont il tenait tout ce qu’il avait été dans le passé et tout ce qu’il sera dans l’avenir. Il y eut dans cette conception fantastique un égoïsme féroce, un manque effroyable de reconnaissance et de générosité envers la France.

Tout cela est vrai selon la raison pratique, pour un

    général des télégraphes (frère de l’inventeur) prit sur lui d’apporter cette dépêche à M. de Vitrolles, au cabinet du roi, au lieu de la transmettre au maréchal Soult. Vitrolles présenta la dépêche toute cachetée à Louis XVIII qui la lut plusieurs fois de suite et la jeta sur la table en disant avec le plus grand calme : « — C’est Bonaparte qui est débarqué sur les côtes de Provence. Il faut porter cette lettre au ministre de la Guerre. Il verra ce qu’il y aura à faire. » — (Mémoires de M. de Vitrolles, tome II, p. 283-285). — Pendant deux jours, le Gouvernement tint la nouvelle secrète, et c’est seulement le 7 mars qu’elle fut annoncée officiellement dans le Moniteur.