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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

des étrangers, abordaient secrètement ou publiquement à sa retraite ; sa mère et sa sœur, la princesse Pauline, le visitèrent ; on s’attendait à voir bientôt arriver Marie-Louise et son fils. En effet parut une femme et un enfant : reçue en grand mystère, elle alla demeurer dans une villa retirée, au coin le plus écarté de l’île : sur le rivage d’Ogygie, Calypso parlait de son amour à Ulysse, qui, au lieu de l’écouter, songeait à se défendre des prétendants. Après deux jours de repos, le cygne du Nord reprit la mer pour aborder aux myrtes de Baïes, emportant son petit dans sa yole blanche.[1]

  1. Le 1er septembre, Napoléon avait reçu la visite de la comtesse Walewska. Les Souvenirs de Pons (de l’Hérault) renferment à ce sujet de curieux détails. La chaleur excessive de l’été avait fatigué l’Empereur, qui avait quitté Porto Ferrajo pour aller s’établir sous les châtaigniers touffus de Marciana. « De l’ombre et de l’eau, avait-il dit en riant, c’est le bonheur, et je vais chercher le bonheur. » Il fit dresser sous les arbres sa tente de campagne, pendant que Madame Mère venait habiter l’ermitage de Marciana. Un matin, une jeune femme accompagnée d’un enfant de quatre ou cinq ans débarquèrent mystérieusement dans l’île. Au cours de la traversée, la voyageuse, après avoir dit : « le fils de l’Empereur », avait ajouté : « mon fils ». Évidemment, c’était l’Impératrice et le Roi de Rome ! Les marins, la population, l’entourage de l’Empereur ne le mirent pas un instant en doute. Cependant la jeune dame s’était rendue immédiatement à Marciana et à la tente impériale. « Mme la comtesse Walewska et son fils, dit Pons (de l’Hérault) (Souvenirs et anecdotes de l’île d’Elbe, pages 213 et 578), restèrent environ cinquante heures avec l’Empereur ; pendant ce temps, l’Empereur ne reçut plus personne, pas même Madame Mère, et l’on peut dire qu’il se mit en grande quarantaine. Son isolement fut complet. Mais, après cinquante heures, la dame alla s’embarquer à Longone pour retourner sur le continent, et elle partit par un coup de vent tel que les marins craignaient avec raison qu’il n’y eût danger imminent pour elle. Elle ne voulut écouter aucune représentation : l’Empereur envoya un officier d’ordonnance pour faire retarder