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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

vaient avec des raclements d’allégresse. Le trône, dressé à la hâte dans la salle des bals publics, était décoré de papier doré et de loques d’écarlate. Le côté comédien de la nature du prisonnier s’arrangeait de ces parades : Napoléon jouait à la chapelle, comme il amusait sa cour avec de vieux petits jeux dans l’intérieur de son palais aux Tuileries, allant après tuer des hommes par passe-temps. Il forma sa maison : elle se composait de quatre chambellans, de trois officiers d’ordonnance et de deux fourriers du palais. Il déclara qu’il recevrait les dames deux fois par semaine, à huit heures du soir. Il donna un bal. Il s’empara, pour y résider, du pavillon destiné au génie militaire. Bonaparte retrouvait sans cesse dans sa vie les deux sources dont elle était sortie, la démocratie et le pouvoir royal ; sa puissance lui venait des masses citoyennes, son rang de son génie ; aussi le voyez-vous passer sans effort de la place publique au trône, des rois et des reines qui se pressaient autour de lui à Erfurt, aux boulangers et aux marchands d’huile qui dansaient dans sa grange à Porto-Ferrajo. Il avait du peuple parmi les princes, du prince parmi les peuples. À cinq heures du matin, en bas de soie et en souliers à boucles, il présidait ses maçons à l’île d’Elbe.

Établi dans son empire, inépuisable en acier dès les jours de Virgile,

Insula inexhaustis Chalybum generosa metallis[1],


Bonaparte n’avait point oublié les outrages qu’il venait de traverser ; il n’avait point renoncé à déchirer son suaire ; mais il lui convenait de paraître enseveli, de

  1. Enéide, livre X. vers 174.