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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

des millions, les opinions se décidèrent généreusement à recevoir l’auguste victime. Les autorités civiles et religieuses furent ramenées à la même conviction. Joseph-Philippe Arrighi, vicaire général, publia un mandement : « La divine Providence, » disait la pieuse injonction, « a voulu que nous fussions à l’avenir les sujets de Napoléon le Grand. L’île d’Elbe, élevée à un honneur aussi sublime, reçoit dans son sein l’oint du Seigneur. Nous ordonnons qu’un Te Deum solennel soit chanté en actions de grâces, etc. »

L’empereur avait écrit au général Dalesme[1], commandant de la garnison française, qu’il eût à faire connaître aux Elbois qu’il avait fait choix de leur île pour son séjour, en considération de la douceur de leurs mœurs et de leur climat. Il mit pied à terre à Porto-Ferrajo[2], au milieu du double salut de la frégate anglaise qui le portait et des batteries de la côte. De là, il fut conduit sous le dais de la paroisse à l’église l’on chanta le Te Deum. Le bedeau, maître des cérémonies, était un homme court et gros, qui ne pouvait pas joindre ses mains autour de sa personne. Napoléon fut ensuite conduit à la mairie ; son logement y était préparé. On déploya le nouveau pavillon impérial, fond blanc, traversé d’une bande rouge semée de trois abeilles d’or. Trois violons et deux basses le sui-

  1. Jean-Baptiste, baron Dalesme (1763-1832). Général de brigade, député de la Haute-Vienne au Corps législatif, de 1802 à 1809, baron de l’Empire (1810), il se rallia à la Restauration, qui le fit lieutenant-général le 21 octobre 1814. Pendant les Cent-Jours, il fut gouverneur de l’île d’Elbe, et quitta le service à la seconde Restauration. Réintégré en 1830, il mourut gouverneur des Invalides.
  2. Le 4 mai 1814.