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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

restauration du trône et de la tombe dont le temps a déjà balayé la double poussière.

Puisque j’ai parlé de ces cérémonies funèbres qui si souvent se répétèrent, je vous dirai le cauchemar dont j’étais oppressé quand, la cérémonie finie, je me promenais le soir dans la basilique à demi détendue : que je songeasse à la vanité des grandeurs humaines parmi ces tombeaux dévastés, cela va de suite : morale vulgaire qui sortait du spectacle même ; mais mon esprit ne s’arrêtait pas là ; je perçais jusqu’à la nature de l’homme. Tout est-il vide et absence dans la région des sépulcres ? N’y a-t-il rien dans ce rien ? N’est-il point d’existences de néant, des pensées de poussière ? Ces ossements n’ont-ils point des modes de vie qu’on ignore ? Qui sait les passions, les plaisirs, les embrassements de ces morts ? Les choses qu’ils ont rêvées, crues, attendues, sont-elles comme eux des idéalités, engouffrées pêle-mêle avec eux ? Songes, avenirs, joies, douleurs, libertés et esclavages, puissances et faiblesses, crimes et vertus, honneurs et infamies, richesses et misères, talents, génies, intelligences, gloires, illusions, amours, êtes-vous des perceptions d’un moment, perceptions passées avec les crânes détruits dans lesquels elles s’engendrèrent, avec le sein anéanti où jadis battit un cœur ? Dans votre éternel silence, ô tombeaux, si vous êtes des tombeaux, n’entend-on qu’un rire moqueur et éternel ? Ce rire est-il le Dieu, la seule réalité dérisoire, qui survivra à l’imposture de cet univers ? Fermons les yeux ; remplissons l’abîme désespéré de la vie par ces grandes et mystérieuses paroles du martyr : « Je suis chrétien. »