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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

matie politique, et qu’en vertu de cette suprématie le 30 janvier 1619 est devenu jour férié. En France, il n’en est pas de la sorte : Rome seule a le droit de commander en religion ; dès lors, qu’est-ce qu’une ordonnance qu’un prince publie, un décret qu’une assemblée politique promulgue, si un autre prince, une autre assemblée, ont le droit de les effacer ? Je pense donc aujourd’hui que le symbole d’une fête qui peut être abolie, que le témoignage d’une catastrophe tragique non consacrée par le culte, n’est pas convenablement placé sur le chemin de la foule allant insouciante et distraite à ses plaisirs. Par le temps actuel, il serait à craindre qu’un monument élevé dans le but d’imprimer l’effroi des excès populaires donnât le désir de les imiter : le mal tente plus que le bien ; en voulant perpétuer la douleur, on ne fait souvent que perpétuer l’exemple. Les siècles n’adoptent point les legs de deuil, ils ont assez de sujet présent de pleurer sans se charger de verser encore des larmes héréditaires.

En voyant le catafalque qui partait du cimetière de Desclozeaux[1], chargé des restes de la reine et du roi, je me sentis tout saisi ; je le suivais des yeux avec un pressentiment funeste. Enfin Louis XVI reprit sa couche à Saint-Denis ; Louis XVIII, de son côté, dormit au Louvre ; les deux frères commençaient ensemble une autre ère de rois et de sceptres légitimes ; vaine

  1. M. Desclozeaux (et non Ducluzeau, comme le portent les précédentes éditions des Mémoires), était un fidèle royaliste, qui s’était rendu propriétaire de l’ancien cimetière de la Madeleine, pour que les restes du roi et de la reine ne fussent pas profanés.