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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Madame de Montcalm m’avait envoyé un sac de douze cents francs pour les distribuer à la pure race légitimiste : je le lui renvoyai, n’ayant pas trouvé à placer un écu. On attacha une ignoble corde au cou de la statue qui surmontait la colonne de la place Vendôme ; il y avait si peu de royalistes pour faire du train à la gloire et pour tirer sur la corde, que ce furent les autorités, toutes bonapartistes, qui descendirent l’image de leur maître à l’aide d’une potence : le colosse courba de force la tête ; il tomba aux pieds de ces souverains de l’Europe, tant de fois prosternés devant lui. Ce sont les hommes de la République et de l’Empire qui saluèrent avec enthousiasme la Restauration. La conduite et l’ingratitude des personnages élevés par la Révolution furent abominables envers celui qu’ils affectent aujourd’hui de regretter et d’admirer.

Impérialistes et libéraux, c’est vous entre les mains desquels est échu le pouvoir, vous qui vous êtes agenouillés devant les fils de Henri IV ! Il était tout naturel que les royalistes fussent heureux de retrouver leurs princes et de voir finir le règne de celui qu’ils regardaient comme un usurpateur ; mais vous, créatures de cet usurpateur, vous dépassiez en exagération les sentiments des royalistes. Les ministres, les grands dignitaires, prêtèrent à l’envi serment à la légitimité ; toutes les autorités civiles et judiciaires faisaient queue pour jurer haine à la nouvelle dynastie proscrite, amour à la race antique qu’elles avaient cent et cent fois condamnée. Qui composait ces proclamations, ces adressée adulatrices et outrageantes pour Napoléon, dont la France était inondée ? des royalistes ? Non : les ministres, les généraux, les au-