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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mais on avait peine à reconnaître cette liberté parce qu’elle portait les couleurs de l’ancienne monarchie et du despotisme impérial. Chacun aussi savait mal le langage constitutionnel ; les royalistes faisaient des fautes grossières en parlant charte ; les impérialistes en étaient encore moins instruits ; les conventionnels, devenus tour à tour comtes, barons, sénateurs de Napoléon et pairs de Louis XVIII, retombaient tantôt dans le dialecte républicain qu’ils avaient presque oublié, tantôt dans l’idiome de l’absolutisme qu’ils avaient appris à fond. Des lieutenants généraux étaient promus à la garde des lièvres. On entendait des aides de camp du dernier tyran militaire discuter de la liberté inviolable des peuples, et des régicides soutenir le dogme sacré de la légitimité.

Ces métamorphoses seraient odieuses, si elles ne tenaient en partie à la flexibilité du génie français. Le peuple d’Athènes gouvernait lui-même ; des harangueurs s’adressaient à ses passions sur la place publique ; la foule souveraine était composée de sculpteurs, de peintres, d’ouvriers, regardeurs de discours et auditeurs d’actions, dit Thucydide. Mais quand, bon ou mauvais, le décret était rendu, qui, pour l’exécuter, sortait de cette masse incohérente et inexperte ? Socrate, Phocion, Périclès, Alcibiade.


Est-ce aux royalistes qu’il faut s’en prendre de la Restauration, comme on l’avance aujourd’hui ? Pas le moins du monde : ne dirait-on pas que trente millions d’hommes étaient consternés tandis qu’une poignée de légitimistes accomplissaient, contre la volonté de tous, une restauration détestée, en agitant