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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la Chine ? Ce sont là des spectacles que ne verront plus les faibles générations qui suivront mon siècle.


Dans la première année de la Restauration, j’assistai à la troisième transformation sociale : j’avais vu la vieille monarchie passer à la monarchie constitutionnelle et celle-ci à la république ; j’avais vu la République se convertir en despotisme militaire, je voyais le despotisme militaire revenir à une monarchie libre, les nouvelles idées et les nouvelles générations se reprendre aux anciens principes et aux vieux hommes. Les maréchaux d’empire devinrent des maréchaux de France ; aux uniformes de la garde de Napoléon se mêlèrent les uniformes des gardes du corps et de la Maison-Rouge, exactement taillés sur les anciens patrons ; le vieux duc d’Havré[1], avec sa perruque poudrée et sa canne noire, cheminait en branlant la tête, comme capitaine des gardes du corps, auprès du maréchal Victor, boiteux de la façon de Bonaparte ; le duc de Mouchy[2], qui n’avait jamais vu brûler une amorce, défilait à la messe auprès du

  1. Joseph-Anne-Auguste-Maximilien de Croy, duc d’Havré (1744-1839). Il était déjà maréchal de camp, lorsqu’il avait été élu en 1789 député de la noblesse aux États-Généraux par le bailliage d’Amiens et de Ham. En 1814, Louis XVIII le nomma pair de France, lieutenant-général et capitaine des gardes du corps. Il avait alors 70 ans.
  2. Philippe-Louis-Marie-Antoine de Noailles, prince de Poix, duc de Mouchy (1752-1819). Comme le duc d’Havré, il était maréchal de camp en 1789, et avait été, comme lui, envoyé aux États-Généraux par la noblesse du bailliage d’Amiens et de Ham. Comme le duc d’Havré encore, il fut nommé en 1814 pair de France, lieutenant-général et capitaine des gardes du corps.