Moncey, Sérurier, Brune, le prince de Neuchâtel, tous les généraux, toutes les personnes présentes, ont obtenu pareillement du roi les paroles les plus affectueuses. Telle est en France la force du souverain légitime, cette magie attachée au nom du roi. Un homme arrive seul de l’exil, dépouillé de tout, sans suite, sans gardes, sans richesses ; il n’a rien à donner, presque rien à promettre. Il descend de sa voiture, appuyé sur le bras d’une jeune femme ; il se montre à des capitaines qui ne l’ont jamais vu, à des grenadiers qui savent à peine son nom. Quel est cet homme ? c’est le roi ! Tout le monde tombe à ses pieds[1]. »
Ce que je disais là des guerriers, dans le but que je me proposais d’atteindre, était vrai quant aux chefs ; mais je mentais à l’égard des soldats. J’ai présent à la mémoire, comme si je le voyais encore, le spectacle dont je fus témoin lorsque Loui XVIII, entrant dans Paris le 3 mai, alla descendre à Notre-Dame : on avait voulu épargner au roi l’aspect des troupes étrangères ; c’était un régiment de la vieille garde à pied qui formait la haie depuis le Pont-Neuf jusqu’à Notre-Dame, le long du quai des Orfèvres. Je ne crois pas que figures humaines aient jamais exprimé quelque chose d’aussi menaçant et d’aussi terrible. Ces grenadiers couverts de blessures, vainqueurs de l’Europe, qui avaient vu tant de milliers de boulets passer sur leurs têtes, qui sentaient le feu et la poudre ; ces mêmes hommes, privés de leur capitaine, étaient
- ↑ Compiègne, avril 1814 ; par M. de Chateaubriand. Paris. Le Normant. 1814, in-8. — Œuvres complètes. Tome XXIV, Mélanges politiques.