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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tête avec une cocarde blanche, et monta un cheval de poste pour galoper devant sa voiture, voulant passer ainsi pour un courrier. Comme nous ne pouvions le suivre, nous arrivâmes à Saint-Cannat[1] bien après lui. Ignorant les moyens qu’il avait pris pour se soustraire au peuple, nous le croyions dans le plus grand danger, car nous voyions sa voiture entourée de gens furieux qui cherchaient à ouvrir les portières : elles étaient heureusement bien fermées, ce qui sauva le général Bertrand. La ténacité des femmes nous étonna le plus ; elles nous suppliaient de le leur livrer, disant : « Il l’a si bien mérité envers nous et envers vous-mêmes, que nous ne vous demandons qu’une chose juste. »

« À une demi-lieue de Saint-Cannat, nous atteignîmes la voiture de l’empereur, qui, bientôt après, entra dans une mauvaise auberge située sur la grande route et appelée la Calade. Nous l’y suivîmes, et ce n’est qu’en cet endroit que nous apprîmes et le travestissement dont il s’était servi, et son arrivée dans cette auberge à la faveur de ce bizarre accoutrement ; il n’avait été accompagné que d’un seul courrier ; sa suite, depuis le général jusqu’au marmiton, était parée de cocardes blanches, dont ils paraissaient s’être approvisionnés à l’avance. Son valet de chambre, qui vint au-devant de nous, nous pria de faire passer l’empereur pour le colonel Campbell, parce qu’en arrivant il s’était annoncé pour tel à l’hôtesse. Nous promîmes de nous conformer à ce désir, et j’entrai le premier dans une espèce de

  1. Village du canton de Lambesc, arrondissement d’Aix (Bouches-du-Rhône).