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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nom : il ne se rappelait ni de m’avoir vu à la cour de Louis XVI, ni au camp de Thionville, et n’avait sans doute jamais entendu parler du Génie du christianisme : c’était tout simple. Quand on a beaucoup et longuement souffert, on ne se souvient plus que de soi ; l’infortune personnelle est une compagne un peu froide, mais exigeante ; elle vous obsède ; elle ne laisse de place à aucun autre sentiment, ne vous quitte point, s’empare de vos genoux et de votre couche.

La veille du jour de l’entrée du comte d’Artois, Napoléon, après avoir inutilement négocié avec Alexandre par l’entremise de M. de Coulaincourt, avait fait connaître l’acte de son abdication :

« Les puissances alliées ayant proclamé que l’empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l’empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu’il renonce pour lui et ses héritiers au trône de France et d’Italie, parce qu’il n’est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu’il ne soit prêt à faire à l’intérêt des Français. »

À ces paroles éclatantes l’empereur ne tarda pas de donner, par son retour, un démenti non moins éclatant : il ne lui fallut que le temps d’aller à l’île d’Elbe. Il resta à Fontainebleau jusqu’au 20 avril.

Le 20 d’avril étant arrivé. Napoléon descendit le perron à deux branches qui conduit au péristyle du château désert de la monarchie des Capets. Quelques grenadiers, restes des soldats vainqueurs de l’Europe, se formèrent en ligne dans la grande cour, comme sur leur dernier champ de bataille ; ils étaient entourés de