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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

çais pouvait jamais affaiblir l’honneur de nos armes et la générosité de nos soldats[1]. »

Ainsi, aux yeux de ses plus serviles esclaves, celui qui remporta tant de victoires n’est plus même Français ! Lorsqu’au temps de la Ligue Du Bourg rendit la Bastille à Henri IV, il refusa de quitter l’écharpe noire et de prendre l’argent qu’on lui offrait pour la reddition de la place. Sollicité de reconnaître le roi, il répondit « que c’était sans doute un très bon prince, mais qu’il avait donné sa foi à M. de Mayenne ; qu’au reste Brissac était un traître, et que, pour le lui maintenir, il le combattrait entre quatre piques, en présence du roi, et lui mangerait le cœur du ventre. » Différence des temps et des hommes !

Le 4 avril parut une nouvelle adresse du gouvernement provisoire au peuple français ; elle lui disait :

« Au sortir de vos discordes civiles, vous aviez choisi pour chef un homme qui paraissait sur la scène du monde avec les caractères de la grandeur. Sur les ruines de l’anarchie, il n’a fondé que le despotisme ; il devait au moins par reconnaissance devenir Français avec vous : il ne l’a jamais été. Il n’a cessé d’entreprendre sans but et sans motif des guerres injustes, en aventurier qui veut être fameux. Peut-être rêve-t-il encore à ses desseins gigantesques, même quand des revers inouïs punissent avec tant d’éclat l’orgueil et l’abus de la victoire. Il n’a su régner ni dans l’intérêt national, ni dans l’intérêt même de son despotisme. Il a détruit tout ce qu’il voulait créer, et recréé tout ce qu’il voulait

  1. Adresse du Gouvernement provisoire aux armées françaises, en date du 2 avril 1814.