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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

à élever ma voix contre la tyrannie ; je voulais m’expliquer sur les horreurs de 1793, exprimer mes regrets sur la famille tombée de nos rois, gémir sur les malheurs de ceux qui leur étaient restés fidèles. Mes amis me répondirent que je me trompais ; que quelques louanges du chef du gouvernement, obligées dans le discours académique, louanges dont, sous un rapport, je trouvais Bonaparte digne, lui feraient avaler toutes les vérités que je voudrais dire, que j’aurais à la fois l’honneur d’avoir maintenu mes opinions et le bonheur de faire cesser les terreurs de madame de Chateaubriand. À force de m’obséder, je me rendis, de guerre lasse ; mais je leur déclarai qu’ils se méprenaient ; que Bonaparte, lui, ne se méprendrait point à des lieux communs sur son fils, sa femme, sa gloire ; qu’il n’en sentirait que plus vivement la leçon ; qu’il reconnaîtrait le démissionnaire à la mort du duc d’Enghien, et l’auteur de l’article qui fit supprimer le Mercure ; qu’enfin, au lieu de m’assurer le repos, je ranimerais contre moi les persécutions. Ils furent bientôt obligés de reconnaître la vérité de mes paroles : il est vrai qu’ils n’avaient pas prévu la témérité de mon discours.

J’allai faire les visites d’usage aux membres de l’Académie[1]. Madame de Vintimille me conduisit chez

  1. Un contemporain, M. Auguis, qui fut député des Deux-Sèvres, raconte ainsi de quelle façon cavalière Chateaubriand fit ses visites : « Lorsque Chateaubriand alla faire ses visites d’Académie française, il se rendit à cheval chez ses futurs confrères. Aux renommés et aux puissants, il faisait la visite entière ; au fretin, il remettait sa carte et ne descendait point du fougueux coursier. Quand on en vint à la délibération, M*** vota pour le cheval du nouveau confrère, disant que c’était de lui