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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nale : vers la fin de l’Empire tout le monde détestait le despotisme impérial. Un reproche grave s’attachera à la mémoire de Bonaparte : il rendit son joug si pesant que le sentiment hostile contre l’étranger s’en affaiblit, et qu’une invasion, déplorable aujourd’hui en souvenir, prit, au moment de son accomplissement, quelque chose d’une délivrance : c’est l’opinion républicaine même, énoncée par mon infortuné et brave ami Carrel. « Le retour des Bourbons, avait dit à son tour Carnot, produisit en France un enthousiasme universel ; ils furent accueillis avec une effusion de cœur inexprimable, les anciens républicains partagèrent sincèrement les transports de la joie commune. Napoléon les avait particulièrement tant opprimés, toutes les classes de la société avaient tellement souffert, qu’il ne se trouvait personne qui ne fût réellement dans l’ivresse[1]. »

Il ne manque à la sanction de ces opinons qu’une autorité qui les confirme : Bonaparte s’est chargé d’en certifier la vérité. En prenant congé de ses soldats dans la cour de Fontainebleau, il confesse hautement que la France le rejette : « La France elle-même, dit-il, a voulu d’autres destinées. » Aveu inattendu et mémorable, dont rien ne peut diminuer le poids ni amoindrir la valeur.

Dieu, en sa patiente éternité, amène tôt ou tard la justice : dans les moments du sommeil apparent du ciel, il sera toujours beau que la désapprobation d’un honnête homme veille, et qu’elle demeure comme un frein à l’absolu pouvoir. La France ne reniera point les nobles âmes qui réclamèrent contre sa servitude,

  1. Mémoire au Roi, par Carnot ; 1814.