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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Ne serait-ce pas une grande leçon pour l’espèce humaine, si ces directeurs (les cinq membres du Directoire), hommes très peu guerriers, se relevaient de leur poussière, et demandaient compte à Napoléon de la barrière du Rhin et des Alpes, conquise par la République ; compte des étrangers arrivés deux fois à Paris ; compte de trois millions de Français qui ont péri depuis Cadix jusqu’à Moscou ; compte surtout de cette sympathie que les nations ressentaient pour la cause de la liberté en France, et qui s’est maintenant changée en aversion invétérée ? »

(Considérations sur la Révolution française.)

Écoutons Benjamin Constant :

« Celui qui, depuis douze années, se proclamait destiné à conquérir le monde, a fait amende honorable de ses prétentions …
Avant même que son territoire ne soit envahi, il est frappé d’un trouble qu’il ne peut dissimuler. À peine ses limites sont-elles touchées, qu’il jette au loin toutes ses conquêtes. Il exige l’abdication d’un de ses frères, il consacre l’expulsion d’un autre ; sans qu’on le lui demande, il déclare qu’il renonce à tout.

« Tandis que les rois, même vaincus, n’abjurent point leur dignité, pourquoi le vainqueur de la terre cède-t-il au premier échec ? Les cris de sa famille, nous dit-il, déchirent son cœur. N’étaient-ils pas de cette famille ceux qui périssaient en Russie dans la triple agonie des blessures, du froid et de la famine ? Mais, tandis qu’ils expiraient, désertés par leur chef, ce chef se croyait en sûreté ;