Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t3.djvu/411

Cette page a été validée par deux contributeurs.
399
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

théâtre, échappée aux censeurs, était saisie avec transport ; on oublie que le peuple, la cour, les généraux, les ministres, les proches de Napoléon, étaient las de son oppression et de ses conquêtes, las de cette partie toujours gagnée et jouée toujours, de cette existence remise en question chaque matin par l’impossibilité du repos.

La réalité de nos souffrances est démontrée par la catastrophe même : si la France eût été fanatique de Bonaparte, l’eût-elle abandonné deux fois brusquement, complètement, sans tenter un dernier effort pour le garder ; si la France devait tout à Bonaparte, gloire, liberté, ordre, prospérité, industrie, commerce, manufactures, monuments, littérature, beaux-arts ; si, avant lui, la nation n’avait rien fait elle-même ; si la République, dépourvue de génie et de courage, n’avait ni défendu, ni agrandi le sol ; la France a donc été bien ingrate, bien lâche, en laissant tomber Napoléon aux mains de ses ennemis, ou du moins en ne protestant pas contre la captivité d’un pareil bienfaiteur ?

Ce reproche, qu’on serait en droit de nous faire, on ne nous le fait pas cependant, et pourquoi ? Parce qu’il est évident qu’au moment de sa chute la France n’a pas prétendu défendre Napoléon ; dans nos dégoûts amers, nous ne reconnaissions plus en lui que l’auteur et le contempteur de nos misères. Les alliés ne nous ont point vaincus : c’est nous qui, choisissant entre deux fléaux, avons renoncé à répandre notre sang, qui ne coulait plus pour nos libertés.

La République avait été bien cruelle, sans doute, mais chacun espérait qu’elle passerait, que tôt ou tard nous recouvrerions nos droits, en gardant les