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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Vous avez le droit de jouir, monsieur, d’un genre de gloire qui vous appartient exclusivement par une sorte de création ; mais il est une jouissance encore plus satisfaisante pour un caractère tel que le vôtre, c’est celle d’avoir donné aux créations de votre génie la noblesse de votre âme et l’élévation de vos sentiments. C’est ce qui assurera, dans tous les temps, à votre nom et à votre mémoire, l’estime, l’admiration et le respect de tous les amis de la religion, de la vertu et de l’honneur.

« C’est à ce titre que je vous supplie, monsieur, d’agréer l’hommage de tous mes sentiments.

L.-F. de Bausset, anc. év. d’Alais. »

M. de Chénier[1] mourut le 10 janvier 1811. Mes amis eurent la fatale idée de me presser de le remplacer à l’Institut. Ils prétendaient qu’exposé comme je l’étais aux inimitiés du chef du gouvernement, aux soupçons et aux tracasseries de la police, il m’était nécessaire d’entrer dans un corps alors puissant par sa renommée et par les hommes qui le composaient ; qu’à l’abri derrière ce bouclier, je pourrais travailler en paix.

J’avais une répugnance invincible à occuper une place, même en dehors du gouvernement ; il me souvenait trop de ce que m’avait coûté la première. L’héritage de Chénier me semblait périlleux ; je ne pourrais tout dire qu’en m’exposant ; je ne voulais point passer sous silence le régicide, quoique Cambacérès fût la seconde personne de l’État ; j’étais déterminé à faire entendre mes réclamations en faveur de la liberté et

  1. Joseph-Marie-Blaise de Chénier (1764-1811).