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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

le plan de la régence de Marie-Louise, c’est que Napoléon n’ayant point péri, il craignait, lui prince de Bénévent, de ne pouvoir rester maître pendant une minorité menacée par l’existence d’un homme inquiet, imprévu, entreprenant et encore dans la vigueur de l’âge[1].

Ce fut dans ces jours critiques que je lançai ma brochure De Bonaparte et des Bourbons pour faire pencher la balance[2] : on sait quel fut son effet. Je me

  1. Voyez plus loin les Cent-Jours à Gand et le portrait de M. de Talleyrand, vers la fin de ces Mémoires. (Paris, note de 1839.) Ch.
  2. Voici le titre complet de l’écrit de Chateaubriand : De Buonaparte, des Bourbons et de la nécessité de se rallier à nos princes légitimes pour le bonheur de la France et celui de l’Europe. D’après M. de Lescure (Chateaubriand, p. 93), il aurait paru le 30 mars 1814. Cela n’est pas tout à fait exact, non plus que l’indication donnée par M. Henry Houssaye, dans les premières éditions de son très remarquable ouvrage sur 1814, où il est dit, page 570 : « La philippique de Chateaubriand parut le 3 avril. » C’est le 4 avril seulement que le Journal des Débats publia un premier extrait de la fameuse brochure ; la mise en vente eut lieu le mercredi 5 avril.

    Quoi qu’en aient dit la plupart des historiens, le grand écrivain, en composant et en publiant son éloquente philippique, n’a pas manqué aux lois de la générosité, de l’honneur et du patriotisme. On oublie trop aisément que ces pages véhémentes, passionnées, ont été préparées, écrites avant la chute de l’Empire, à quelques pas des Tuileries, sous l’œil d’une police qui pénétrait partout et pour laquelle il n’y avait rien de sacré. On oublie trop aisément que, dès le 5 août 1806, alors que l’Empire était à l’apogée de sa grandeur et se pouvait rire des vaines attaques d’une presse impuissante, Napoléon écrivait lui-même à l’un de ses maréchaux, à Berthier, une lettre datée de Saint-Cloud, pour lui signifier qu’il eût à faire fusiller dans les vingt-quatre heures les libraires d’Augsbourg et de Nuremberg, coupables d’avoir vendu une brochure de M. de Gentz dirigée contre sa politique. Il ordonnait en même temps que les libraires de Vienne et de Lintz, expéditeurs de la même brochure, fussent