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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

huit ans, l’étranger avait insulté les murailles de la capitale de notre empire sans y pouvoir entrer jamais, hormis quand il s’y glissa appelé par nos propres divisions. Les Normands assiégèrent la cité des Parisii ; les Parisii donnèrent la volée aux éperviers qu’ils portaient sur le poing ; Eudes, enfant de Paris et roi futur, rex futurus, dit Abbon, repoussa les pirates du Nord : les Parisiens lâchèrent leurs aigles en 1814 ; les alliés entrèrent au Louvre.

Bonaparte avait fait injustement la guerre à Alexandre son admirateur qui implorait la paix à genoux ; Bonaparte avait commandé le carnage de la Moskowa ; il avait forcé les Russes à brûler eux-mêmes Moscou ; Bonaparte avait dépouillé Berlin, humilié son roi, insulté sa reine : à quelles représailles devions-nous donc nous attendre ? vous l’allez voir.

J’avais erré dans les Florides autour de monuments inconnus, jadis dévastés par des conquérants dont il ne reste aucune trace, et j’étais réservé au spectacle des hordes caucasiennes campées dans la cour du Louvre. Dans ces événements de l’histoire qui, selon Montaigne, « sont maigres témoins de notre prix et capacité » ma langue s’attache à mon palais : Adhæret lingua mea faucibus meis[1].

L’armée des alliés entra dans Paris le 31 mars 1814, à midi, à dix jours seulement de l’anniversaire de la mort du duc d’Enghien, 21 mars 1804. Était-ce la peine à Bonaparte d’avoir commis une action de si longue mémoire, pour un règne qui devait durer si peu ? L’empereur de Russie et le roi de Prusse étaient à la

  1. Et lingua mea adhœsit faucibus meis. Psaume XXI, verset 16.